ces abbayes qui ont fait l’Alsace

Quand on circule sur l’autoroute A 36 en direction de Belfort, on peut voir sur la droite, peu après Mulhouse, à hauteur de Reiningue, des clochetons émergeant des arbres. Ils signalent la présence de l’abbaye trappiste d’Oelenberg. Quand on leur jet ainsi un coup d’œil depuis sa voiture, ces petits clochers sont l’affirmation qu’une autre vie est possible : une vie centrée sur la prière, le dénuement, la méditation… Mais la vie monastique a aussi ses exigences et ses préoccupations, et celles-ci sont grandes : crise des vocations (elle est telle que la pérennité de l’abbaye semble aujourd’hui compromise), entretien de bâtiments immenses, gestion, par le biais d’une filiale, d’une activité économique indispensable (production et vente de farine, de nouilles ou encore de gâteaux)…

Le trône et l’autel

Ainsi, si un moine se place à l’écart du monde, il n’en reste pas moins au cœur de celui-ci. Et c’est ce que démontre ce nouveau numéro (le 99) des Saisons d’Alsace puisqu’il rappelle l’importance, essentielle et pourtant oubliée, qu’ont eue, au fil des siècles, les congrégations et les ordres religieux dans la vie quotidienne des Alsaciens.

Ceci a commencé dès le Haut Moyen Âge. Entre les années 650 et 778, dix abbayes dites primitives (six d’hommes et quatre de femmes) apparaissent en Alsace : à Wissembourg, Marmoutier, Munster, Ebersmunster, Honau, Surbourg, Hohenburg (Mont Sainte-Odile), Niedermunster, Saint- Étienne (Strasbourg) et Eschau. Suivront Lucelle, Marbach, Murbach, Andlau…

Ces fondations étaient accueillies par les seigneurs locaux. La famille des ducs d’Alsace est ainsi à l’origine de plusieurs d’entre elles. Comme l’a écrit René Bornert, grand spécialiste des abbayes alsaciennes, l’aristocratie de cette époque a eu besoin « d’une aura » religieuse pour s’imposer : « Le milieu monastique est devenu, dans le système féodal naissant, l’appui sacré du pouvoir politique. Le trône pouvait s’appuyer sur l’autel. »

Au début du XIIIe siècle, les villes et le commerce se développent et de nouveaux ordres, dits mendiants (franciscains et dominicains essentiellement), viennent régénérer le monachisme ancien. Aux moines et moniales isolées succèdent des frères et des sœurs qui s’implantent et prêchent dans les villes. Strasbourg va bientôt compter huit couvents de dominicaines et de dominicaines ! Aujourd’hui, la bibliothèque des Dominicains à Colmar ou le centre culturel du même nom à Guebwiller rappellent l’ancienne importance des frères mendiants au cœur des cités.

Sur un air irlandais

Enfin, le XIXe et le XXe furent les grands siècles des congrégations, lieux épauler la puissance étatique, voire pallier ses manques, en matière de santé, de charité et d’éducation. Il suffit d’évoquer à ce sujet les Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé : elles ont enseigné dans quasiment toutes les communes d’Alsace…

Ce numéro retrace cette histoire dense en proposant des focus sur l’influence irlandaise dans les premiers monastères, sur des abbayes aussi prestigieuses que Lucelle et Murbach, sur les ateliers ( scriptoria ) qui produisirent des manuscrits aussi fabuleux que le Hortus Déliciarum et le Guta-Sintram … Sans oublier de marquer des communautés religieuses, contemplatives ou apostoliques, encore actives aujourd’hui. Enfin, il contient une carte inédite montrant l’extraordinaire densité des ordres religieux sur le sol alsacien en 1790. Une véritable constellation d’abbayes et de couvents que la Révolution naissante s’apprêtait à balayer…

L’Alsace des monastères , Saisons d’Alsace 99, 116 pages, 9,90 €. En vente dans les grandes surfaces, chez les marchands de journaux, en bibliothèques, dans les agences de L’Alsace et des ADN ainsi que sur https ://boutique.lalsace-dna.fr